mercredi 9 août 2017

Seul, et face au public (Madeleine Conraux)

Et si je vous parlais de mon premier (petit) coup de cœur de l’année ? Il a beau être 21h passées, je me dis qu’avant d’être de nouveau en retard dans mes chroniques, je peux en profiter.

Seul, et face au public se déroule dans le même univers qu’Elle s’appelait Cassiopée, roman dont vous pouvez retrouver ma chronique ici. Cette fois-ci, nous suivons Gabriel, l’un des meilleurs amis de Cassiopée, qui ne va pas être épargné par son suicide. Déjà perdu, Gabriel se raccroche de toutes ses forces à sa passion, le théâtre. Sa vie lui semble une errance sans fin, et la douleur s’accentue à la mort de Cassiopée. Comment faire pour survivre, comment continuer ?

Disons-le tout de suite : comme pour Elle s’appelait Cassiopée, Madeleine Conraux a choisi d’aborder des thématiques difficiles. Gabriel est un personnage complexe, très riche, et qui éprouve de grandes souffrances. Son malaise ne va pas s’arranger en un clin d’œil, et son chemin va être houleux.

J’annonce la couleur : la chronique risque d’être un peu fouillis, parce que les romans de Madeleine semblent d’une telle densité que c’est difficile de faire le tri ensuite. N’attendez pas à ce que je fasse quelque chose de court ! Il y a trop à dire. Ce roman contient beaucoup trop de choses pour que je parvienne à me taire. D’autant qu’il n’est pas encore publié ! Je souhaite de tout cœur qu’il finisse par trouver une maison qui lui offrira un écrin digne de son contenu, mais je sais que ça va être compliqué.

Bref. J’avais énormément aimé Elle s’appelait Cassiopée. Il m’avait permis de prendre conscience de l’incroyable maturité de plume et de réflexion de Madeleine Conraux. Ben je peux vous dire que Seul, et face au public monte encore un cran au-dessus. Je ne pensais même pas que c’était possible !

Nous retrouvons Gabriel, un personnage que nous avions croisé avec Cassiopée. Il était le petit comique, aux remarques profondes, ce personnage qu’on aime beaucoup, souvent, en second plan. Personnellement, j’avais beaucoup apprécié sa présence, et j’ai été ravie de pouvoir plonger dans sa tête, même si je ne m’attendais pas à ce que j’ai lu. Parce que Gabriel, dans toute sa richesse, sa complexité d’être humain, vit un véritable calvaire. Sa crise existentielle est très profonde, et il se demande comment il parviendra à surmonter demain. Il est loin, le gars superficiel qui ne pense qu’à coucher avec des filles. On est face à un jeune homme qu’on aimerait soigner, relever, illuminer.

Oui, on aimerait lui accorder nous aussi toute notre attention, parce que ce personnage est presque vivant. Madeleine a réussi à lui conférer une densité, un réalisme… une consistance juste hallucinante ! Nous pourrions le croiser dans la rue ! Elle m’avait avoué avoir tout donné pour lui, avec lui, ben je peux vous dire que ça se ressent. On est avec lui, ses pensées sont posées sur le papier comme si on était vraiment dans sa tête, dans son cœur, dans le merdier que sa vie lui paraît être.

Et le summum ? On retrouve Cassiopée. Cassiopée vue autrement, dont on apprend de nouvelles facettes (j’ai eu de ces chocs, je vous raconte pas), Cassiopée vivante. Pour un lecteur qui a déjà fait face à cette fille, qui s’est attaché à elle, c’est aussi agréable que douloureux. Parce qu’on sait. On sait que ça ne va pas durer. Mais on en apprend plus, et on vit ça avec d’autres yeux. Et c’est tout aussi puissant qu’avec Erwan.

Pourtant, on ne s’arrête pas juste à son décès. Nan, nan. On va plus loin, avec Gabriel, puisque c’est le devenir de Gabriel, qui nous intéresse, aussi. Et il y a encore beaucoup de choses à voir, pas jolies-jolies. D’autant que Gabriel n’est pas un personnage qu’on approuve (loin de là), mais on ne peut pas le juger. C’est comme s’il était devant nous, là, on peut pas ! Et encore, je crois que ce serait plus facile d’être indifférent, de poser une étiquette sur quelqu’un en face de nous que sur Gabriel. Pour vous dire !

Je ne vais pas vous mentir : on sent le malaise tout le long du roman. J’ai eu des moments où j’avais du mal, certains personnages me laissaient indifférente ou presque. On sent le malaise, on sent que quelque chose plane dans l’écriture, dans l’intrigue… mais on veut avancer. C’est comme si on sentait la lumière qui peut émerger. Et comme je l’ai dit, c’est tellement dense qu’on est pris dedans. Non pas que ça soit opaque, hein, non. C’est tellement riche, que chaque détail a son importance. Certains trouveront qu’il y a des longueurs, mais si vous suivez l’aspect psychologique, vous remarquerez que pas une scène n’est inutile : tout est essentiel pour comprendre l’évolution lente, mais présente de ce personnage.

À la fin du roman, après tous ces méandres, ces évolutions inattendues mais logiques, vous aurez sans doute besoin de sortir vous aérer. Parce que votre cerveau aura fondu, parce que vous aurez assisté, vous aurez vécu une sorte de fusion par l’esprit avec un personnage émotionnellement dévasté, dont la reconstruction incertaine vous aura en quelque sorte pris à part. C’est ça, que Madeleine Conraux vous propose. Et c’est assez renversant, comme voyage, clairement.

La plume de notre jeune autrice est encore une fois magnifique. Elle a de très belles phrases de réflexion, qui semblent à la fois beaucoup trop poussées pour le registre du lycée, et qui évoquent pourtant des choses que nous avons tous pensées. C’est un roman sur la vie, encore une fois, sur ses méandres et ses épreuves. En même temps, Madeleine sait très bien adapter ses répliques pour atteindre un langage plus commun. La dynamique du roman vient aussi de cette maturité de plume que l’on trouve rarement dans les premiers romans, ou dans les romans contemporains tout court. Je l’admire beaucoup pour ça, parce qu’elle sait développer la pensée de ses personnages de façon incroyable, et qu’elle a su, ici, mettre en valeur l’aspect du théâtre d’une façon assez unique.

Au niveau des valeurs, l’amour reste présent. Le suicide de Cassiopée est une épreuve innommable, et l’amour permet d’avancer. Même si Gabriel peine avec ce concept et qu’il luttera beaucoup dans ses relations personnelles, l’amour et l’amitié ont toujours une place importante dans sa vie, et c’est ce qui le relèvera. La quête de soi est aussi importante. Savoir se trouver, s’accepter et faire face aux épreuves n’est pas chose facile. En fait, je pourrais vous trouver tellement de messages qui sont forts, dans ce roman. Gabriel porte une croix énorme, et sur son chemin, il nous permet de prendre conscience de beaucoup de choses. En plongeant aussi profondément dans l’histoire de ses personnages, je dirai juste que Madeleine Conraux nous fait prendre conscience qu’en chaque être humain se cache un prisme aux multiples éclats, que nous ne pouvons jamais voir entièrement. Et de ce fait, nous ne pouvons pas et ne devons pas les juger. Nous serions de toute façon dans l’erreur… et je trouve ça extrêmement puissant, comme message.

Je pourrais dire encore un million de trucs, puisque c’est un petit coup de cœur, et que le roman est super dense. Mais je vais finir par écrire un roman sur le roman, et c’est pas le but. J’ai tellement aimé retrouver cette bande de personnages, y compris Cassiopée, que nous découvrons sous un nouveau jour. Sa perte est toujours aussi douloureuse, mais j’ai été heureuse de la revoir, d’une certaine façon (preuve en est qu’on s’attache aussi aux héros de fiction). Plonger dans l’histoire de Gabriel a été tortueux, difficile, mais ô combien riche et appréciable, en fin de compte. J’étais retournée, j’étais admirative, j’étais plein de choses, à la fin. Le malaise est présent, mais tout est tellement fort, que d’autres comprendront tout ce que j’ai écrit ici. C’est fort, c’est puissant, c’est incroyable. Je pourrais croiser Gabriel dans la rue ! La plume de Madeleine a encore mûri, et les messages qu’elle nous fait passer dans son histoire sont puissants, eux aussi. Et il y aurait encore tant à dire. Mais je m’arrête ici. Ce sera un 20/20 pur moi, un petit coup de coeur, et merci, Madeleine ! Merci. C’était dur, j’étais pas si bien à la fin, mais bon sang, je suis loin de regretter. Merci de ta confiance, merci ! Puisses-tu aller loin !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire